Ecoutez la quinzième minute de ce podcast, par ailleurs très intéressant.
Jusque là, je trouvais ce que disait Etienne Klein très juste: la science comme façon de dire aussi et surtout je ne sais pas, biais cognitifs dans nos façons de nous informer, importance de la connaissance dans la fabrication d’une opinion etc..
Mais tout d’un coup ce philosophe, en répondant à Léa Salamé qui l’interroge habilement sur le Pr Raoult, dit qu’ « un soin doit être démontré pour que ce soit un soin ». J’aurais tendance à laisser le bénéfice de la maladresse à Etienne Klein, qui n’a pas bien défini ce qu’il entendait à ce moment là par soin. Mais les mots ayant une signification, je crois qu’il s’agit plutôt d’un lapsus qui révèle très bien l’une des « anomalies » de cette crise covid. Si en effet un savoir scientifique a besoin d’être démontré - voir réfuté, démontré autrement etc..- pour être appelé science, ce n’est pas le cas du soin. Le soin est justement ce qui n’a pas à être démontré puisqu’il s’agit à chaque fois de la combinaison singulière entre savoir - ou ignorance - scientifique, expérience d’un.e praticien.ne, relation au malade en ce qu’il a de singulier. Si la science s’est trouvée être suspendue par le coronavirus qu’elle ne pouvait comprendre instantanément, le soin lui se devait d’être poursuivi. La médecine n’est pas que de la science. C’est ce que ce collectif se propose entre autre de défendre. Lisez la lettre ouverte: http://www.collectif-ensemble-reanimons-la-medecine.fr/blank
J'ai du éditer le lien vers la lettre ouverte, il est désormais http://www.collectif-ensemble-reanimons-la-medecine.fr/lettre-ouverte.
Est ce que vous pouvez le modifier sur votre post ?
Merci.
Merci! J'ai écouté Étienne Klein.
J'ai trouvé ça très amusant.
La première partie très professionnelle et classique dans son registre du scientifique érudit dubitatif devant ceux qui fonctionnent avec des croyances. Sympathiques ces pauvres ignorants qui ont besoin de se raccrocher à des croyances pour supporter leurs angoisses de mort. Amusants aussi ces journalistes qui sentent que c'est un moment important parce que "y'a des mots que dit le scientifique, on comprend même pas ce que ça veut dire?"
Puis au fur et à mesure, apparaît sa propre croyance, celle que la science peut répondre à toutes les questions de l'existence. Que toutes les énigmes peuvent faire l'objet de démonstration. Nous serions alors tous sur un pied d'égalité, à tenter de nous dépatouiller des énigmes de la vie? Même les scientifiques? Ce serait ça le vrai scoop?
Notre condition humaine et notre "je ne sais pas fondamental: qui suis-je, d'où je viens et où je vais?" autorise des réponses singulières. On peut choisir d'abord la science, mais il me semble que le siècle des lumières nous a appris qu'il est peut-être préférable de s'éclairer d'abord d'une conception de l'Homme. Cela rend d'ailleurs l'usage des sciences beaucoup plus enthousiasmant, je trouve!
Alexandre a bien pointé le moment où la science se prend les pieds, soutenue maladroitement par le pouvoir politique. En réalité, il serait souhaitable de ne pas omettre que sous le terme de science il y a ce qu'on appelle des scientifiques, c'est à dire des sujets qui, malgré leur habitude d'en faire omission, sont bien comme tout le monde: ils rêvent, ils font des lapsus, la science n'est pas neutre, et, nous le savons depuis longtemps elle n'échappe pas aux idéologies. on peut, Lacan l'a relevé, parler du désir du scientifique.
Faut-il rappeler que la science est fondée sur la réfutation - sans doute certains scientifiques confondent avec réputation - On sait depuis Popper que précisément la psychanalyse , elle, est irréfutable et pour cette raison n'est pas et ne sera jamais une science. Pour autant c'est bien le sujet qui fait le coeur de la pratique.
Alors quand on a pu constater que lors de cette crise nous attendions les résultats des études dites scientifiques, c'est le soin qui a fait les frais de cette tente; le soin c'est à dire les patients, les gens qui pour la grande majorité ne sont pas au courant, ni de la pression des ARS, ni des conflits d'intérêts, ni de l'état critique de l'hôpital.
Le temps est venu de participer à la levée de l'ignorance que les pouvoirs politique et administratifs entretiennent.
Georges Orwell, 1984. Après une terrible catastrophe et pour le bien de tous, une élite fait régner un ordre implacablement rationnel sur la population. Les individus ne sont plus que des numéros contrôlés par une multitude d’écrans. Ils subissent un conditionnement continuel qui les maintient dans une obéissance de masse.
Cela vous rappelle quelque chose ?
« Toute ressemblance de ce récit avec des évènements existants n’est que pure et fortuite coïncidence... »
J’ai rajouté l’avertissement pour ne pas passer pour une grande paranoïaque, mais en vérité, j’ai failli le devenir. Les premiers jours du confinement m’ont plongée dans la stupéfaction, avec cette sensation surréaliste de me réveiller au beau milieu d’un scénario de science fiction.
Bien sûr, nous ne vivons pas dans un état fasciste, il faut raison garder. Ce n’est pas mon propos, et je n’ai même pas l’intention de critiquer le gouvernement pour son action, c’est inutile. Ma paranoïa est très limitée.
Je ne sais s’il faut parler de science fiction ou de fiction de la science tant les registres se confondent en ce moment. Il me semble en tout cas que la science fiction a quelque chose à nous dire. Le schéma des grands récits de science fiction est quasiment toujours le même : la systématisation d’un dispositif de pouvoir légitimé par la science.
Cette idée qui est un motif récurent des scénarios de SF n’est pas une simple fantaisie, elle désigne une réalité bien concrète.
Dommage, la science ne fait plus rêver depuis que le capitalisme en a fait son fantasme. Car vraiment, la science est devenue un objet de fantasme pour le capitalisme. La science fait jouir le capitalisme, il n’est pas prêt de la laisser filer. Est ce réciproque ? Je ne le crois pas.
L’aventure extraordinaire commencée il y a 25 siècles avec Pythagore, Platon ou Aristote a mal tourné. Dommage, oui, car il y a toujours ce désir de connaître qui donne des ailes à l’être humain pour s’arracher à la déréliction, ce désir de savoir qui ne rapporte rien, sauf le sentiment de la beauté des choses. Bien sûr il ne faut pas confondre les scientifiques avec la science. Beaucoup de scientifiques contemporains sont admirables. J’éprouve un grand respect pour le travail qu’ils accomplissent, mais plus encore, de l’admiration quand ils s’engagent dans une parole qui se déploie dans la philosophie, la politique et l’éthique. Ce sont des contributions subjectives souvent remarquables.
Evidemment, il y a aussi les tristes sires, mais passons. Ce qui m’importe de souligner, c’est le rapport entre la science et le capitalisme. Il y a dans l’air du temps cette idée que la science est neutre, non idéologique. Beaucoup d’entre nous le pensent. Comment en est on arrivé à croire que faire passer des QI aux enfants est dénué de toute idéologie ? Que le bonheur c’est d’avoir un nouvel Iphone ? Que le logiciel des sites de rencontres sait quel partenaire il vous faut ?
C’est avec cette carte de visite de la neutralité objective que la science est entrée dans nos existences et qu’elle a modifié notre façon de nous comporter, de penser, et même de nous émouvoir.
La science est devenue le plus grand appareil normatif des subjectivités contemporaines. Non pas que cela soit son projet a-priori, mais qu’elle est instrumentalisée pour remplir cet office. Les algorithmes, les statistiques et la technologie nous imposent un ordre de fer dont nous n’avons même pas conscience, tant la norme est une contrainte silencieuse.
Y a t il un lien entre le déclin des philosophies humanistes, les débats politiques de fond et la montée en puissance de la neutralité scientifique ? Et je ne parle même pas du mépris pour la psychanalyse…
« Penser scientifiquement exige qu’on élimine toute subjectivité, tout « sentiment personnel ». La conclusion pratique inéluctable : le bon citoyen est l’homme sans idées propres, sans convictions personnelles, sans idéologie… A proprement parler, tous les problèmes redoutables posés par l’existence d’une réelle liberté politique disparaissent. Dans le cadre du scientisme intégral, il n’y a plus de conflits d’intérêts, plus de confrontations entre utopies ; mais seulement des problèmes techniques ». (Pierre Thuillier, épistémologue)
Sous la pression du capitalisme, la science devient une idéologie à l’instant où elle s’engage sur la voie de la domination et de l’exploitation de la nature. Cela ne lui est pas nécessairement consubstantiel. La logique du capitalisme s’est substituée au désir de vérité qui habite bien souvent les scientifiques. Les noces de la science avec le capitalisme sont bien tristes, je rêve d’un divorce fracassant.
Merci pour ce forum. Bon courage à ceux qui travaillent.
C.P