A peine sortis d’une première vague, du confinement, des questions que cette crise et sa gestion mettent à jour de notre système de soins, de la colère que chacun éprouve concernant la déshumanisation de la santé gérée par des administrations, les cabinets médicaux se remplissent à nouveau pour la prise en charge des patients habituels mais aussi la prise en charge de patients qui n’ont pas osé déranger pendant le confinement ou pour lesquels il n’était pas possible d’obtenir un rendez-vous avec des spécialistes. Ceux là vont malheureusement souffrir des conséquences de cette crise pour des retards de diagnostics et de prises en charge pour des pathologies graves et de pronostics souvent sombres (mélanome malin, cancer de la langue).
Le temps imparti à leur prise en charge est long, notamment parce qu’il faut se démener pour obtenir des rendez-vous rapides pour éviter que le temps déjà perdu ne s’allonge davantage. Alors chacun se débrouille comme il le peut avec les secrétariats déjà très occupés, les longues minutes d’attente au téléphone, les confrères déjà surchargés, les délais trop longs de rendez-vous pour les examens et les protocoles sanitaires mis en place.
Mais il y aussi tous ces patients qui souffrent de symptômes qu’aucune cause anatomique ou physiologique ne vienne expliquer, ces patients traumatisés par ce qu’ils ont vécu ou ce qu’ils vivent. Ceux là ont et auront aussi besoin d’écoute et de temps.
Ce temps là est le temps que vous ne pouvez pas prendre pour un autre patient mais aussi le temps que vous ne passez pas à écrire, à dire à quel point cette situation vous touche, le temps que vous ne passez pas à exprimer ce que ce collectif tente de soutenir concernant la place des échanges, l’humanisation et l’éthique de la pratique de la médecine.
Ce temps nécessaire pour dire ce qui vous tient à cœur de soutenir d’humanité dans l’exercice de la médecine.
Allons nous renoncer par manque de temps?
J’entends parler des retours de ce fameux Ségur de la santé qui me semble répondre davantage à des considérations financières qui bien qu’existantes ne sont pas isolées. Les problèmes de fond concernant la place des médecins, des patients et plus généralement de l’exercice de la médecine dans les décisions des hautes administrations pourtant essentielle n’est que peu, voire pas abordée.
La politique répond financièrement comme elle avait déjà répondu financièrement au système de traçage des patients Covid piétinant le secret médical, la relation médecin malade.
Ce système n’a donc pas de limite et pense t il encore que l’on peut tout acheter y compris la capacité à réfléchir la question humaine? Allons nous renoncer parce que l’on nous paie?
Entre le manque de temps et la tentative de dédommagement financière, les médecins vont ils se laisser duper? Vont-ils manquer de temps alors que les prémices d’une possible seconde vague s’observent?
Je ne veux pas céder à cette politique chronophage qui consiste à vous priver de temps pour la réflexion et à l’échange parce que vous en manquez cruellement, à cette tentative de ce système d’acheter votre silence parce qu‘après tout vous ne vous en sortez pas si mal.
Je reprendrai le «c’est pas si mal» du texte de Remi Gitel pour rebondir et vous dire que ce «c’est pas si mal» largement répandu est la manière la plus sournoise d’étouffer la douleur et la colère causées par ce à quoi nous assistons progressivement et depuis quelques années maintenant. Il ne s’agit pas de faire une révolution, il s’agit de dire pour soutenir ce que l’exercice de la médecine a de plus humain et pour cela il est essentiel d’échanger. C’est la question de chacun, l’indispensable à soutenir pour que la vie humaine se prolonge et c’est aussi ce qui me tient personnellement en vie.
J’ai en mémoire ce passage très marquant de la fin du film « La liste de Schindler » au cours duquel Schindler s’effondre après l’horreur, en réalisant devant ce qu’il possède encore qu’il aurait pu sauver davantage de vies humaines en se séparant de ses biens. C’est un peu ce que je ressens lorsque je ne m’engage pas, quand le temps me manque, quand la fatigue me gagne, quand je trébuche et me laisse aller au confort du « c’est pas si mal ».
Il ne s’agit pas ici de comparer la situation que nous traversons avec les heures les plus obscures de l’histoire mais force est de constater que le silence, l’absence d’interrogation ont déjà mené au pire de l’horreur.
Vous mettez le doigt sur un point très important: le temps. Faut croire que pour nos gouvernants "Time is money", c'est énervant! C'est vrai que parfois le découragement gagne mais la force du Collectif c'est justement, dans la mesure où découragement et impuissance ne sont pas vécus au même moment pour chacun, de pouvoir continuer à parler, à témoigner de ce qui blesse, qui fait mal, qui révolte aussi. Vous n'êtes pas seul à sentir monter la colère devant tant de mépris, de connerie face à ce qui compte plus que tout: l'échange.