Ethique? La vie n'est pas la vie si elle n'est que la vie...
Puisque ce collectif vise à parler d’éthique, de celle du soin, je tenais à partager avec vous cette phrase d’Emmanuel Hirsch, Pr d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay, président du conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique, directeur de l’espace de réflexion éthique de la région île de France. Cv impressionnant, personnage influent donc sur les questions qui nous occupent, une parole écoutée.
Voici donc cette phrase qui m’a laissé sans voix dans une lettre publiée dans Médiapart:
« La hiérarchisation des choix doit être faîte selon des protocoles. Cela permet de neutraliser la responsabilité: le soignant a moins le sentiment d’assumer personnellement une décision à impact vitale ».
Et voilà!
En quelques mots nous comprenons ce qu’est l’éthique pour E. Hirsch: neutraliser la responsabilité par les protocoles. Mais qu’est ce que ça signifie? La diluer pour l’éliminer ? La rendre anonyme? Indolore, sans conséquence?
Une question se pose alors : qu’est ce que l’éthique pour un soignant? S’agit-il de « neutraliser » sa responsabilité ou de « l’assumer »? De déléguer cette responsabilité ou de vouloir l’endosser?
Autre remarque: Que veut t-il dire par « le soignant a moins le sentiment »…Certes il a moins le sentiment mais la responsabilité engagée est bien la sienne, donc c’est un leurre, un mensonge. Ce n’est pas parce qu’on ne sent pas la piqure qu’elle n’a pas été faîte ! On veut faire croire au soignant que, utilisant les protocoles rédigés par les bien pensantes ARS, sa responsabilité serait moins engagée; qu’il avale la couleuvre, nous savons tous que c’est faux, il n’y a jamais eu autant de plaintes, de procès et de condamnation de soignants.
Toute prise en charge d’un patient par un soignant engage sa responsabilité. Comment en serait-il autrement? Ce n’est pas pour rien que l’on parle d’acte: un acte diagnostic, un acte de prise en charge, un acte thérapeutique.
Chaque fois qu’il y a « acte » la responsabilité du sujet est engagée qu’il le veuille ou non. Il y a une prise de risque à chaque nouvelle rencontre avec un patient, à chacun d’en prendre la mesure.
Depuis toujours il y a un code de déontologie pour les soignants, et quand un médecin devient « responsable » et prêt à prendre des patients en charge il prononce le serment d’Hippocrate, c’est un rituel de passage qui fait prendre la mesure de la charge que cette responsabilité représente : l’idée forte qu’en devenant médecin, ou soignant, on porte en soi quelque chose qui est bien plus grand que soi, qui va au delà de soi: la conviction que ce métier repose sur des lois éternellement valables et sur des principes immuables, soigner n’est pas réduire un sujet à son corps, soigner va au delà c’est prendre en considération « l’homme » qui habite ce corps, l’homme au sens large d’humain, prendre en considération les valeurs humaines qui le fondent.
Chaque médecin doit savoir, c’est son expérience que « la vie n’est pas la vie si elle n’est que la vie ». La vie réduite au seul corps, un corps dont on a oublié qu’il est aussi esprit et âme, ce corps lorsqu’il est réduit et traité comme une simple masse d’organes devient l’enfer. L’enfer c’est d’être réduit à un corps, réduit à la vie du corps, la vie ne porte alors plus son nom, elle devient survie. Un sujet réduit à son corps a peur. Il est terrorisé, puisque c’est par le corps qu’il attrape la mort! Et, un homme terrorisé se terre et se taire. Il se met à l’abri et il devient silencieux, docile.
L’ahurissante docilité des hommes que l’on a tous constaté dans cette crise du Covid 19 vient donc en premier lieu de la réduction des humains à leur corps. Le virus nous a tous réduit à des corps contaminés ou contaminables. Sauver sa peau, sauver sa vie à tout prix.
Évidemment je ne remets pas ici en question le confinement. Fallait-il confiner? Ne pas confiner? Bien malin celui qui aura la réponse. Force est de constater que nos services hospitaliers, grâce à ce confinement ont pu fonctionner.
Ce que j’interroge ici c’est la « docilité » des hommes, docilité qui posent tout de même beaucoup de question. Docilité de chacun face au confinement, docilité des soignants depuis 20 ans face à la fermeture des lits, la réduction du personnel, les injonctions des administratifs et comme aujourd’hui le « Ségur de la santé » vient de se terminer je constate que l’argent aura aussi contribuer à rendre les soignants plus dociles et une fois encore à les faire taire.
Vivre a un prix: parler pour défendre ses convictions, c’est la voie pour retrouver la foi et le sens de ce que l’on fait. La vie ne devrait pas s’ordonner à la menace de la mort, , ni au marchandage des salaires, une vie qui a pliée ne peut plus s’appeler une vie,
Cette phrase me rappelle une très sombre période de notre histoire, dont l'humanité avait pourtant juré de ne jamais l'oublier. A cette période on utilisait un langage comparable pour mettre en place des protocoles qui avaient pour but justement de diluer le sentiment de responsabilité de chaque individu impliqué dans ce qui étaient des crimes contre l'humanité. Cela fonctionnait si bien qu'au moment de leur procès ces mêmes individus se déclaraient innocent, car il ne faisait qu'appliquer des ordres.
Cela fait froid dans le dos.
L'émission récemment diffusée sur France TV, "Des médecins dans la résistance" , contribue à faire entendre l'écho dont vous parlez, et témoigne de la dimension salvatrice de l'indocilité éthique dont certains ont fait preuve.
Elle reprend l'historique de la constitution de la hiérarchisation du système de soins pendant cette période, la montée progressive des questionnements individuel et collectif concernant le "que faire?" et développe comment certains ont mis le serment d'Hippocrate au service de la résistance en détournant, en se jouant, de certains protocoles. Certains ont pu alors sauver leurs peaux et plus largement "des peaux"
J'ai vu cette émission, émouvante et précieuse (merci de l'avoir mentionnée). Heureusement nous n'en sommes pas rendus aux mêmes extrémités, mais il y a une question qui je le sais taraude nombre d'entre nous: que peut-on faire, jusqu'où aller dans l'engagement, comment inventer de nouvelles façons de pratiquer lorsque les conditions ne permettent plus de faire comme d'habitude? Comment ne pas se laisser envahir par l'inondation médiatique? Comment résister à la pression sans tomber dans la dé-pression? Le pas de côté pour ne pas être à côté, aux côtés et continuer à ne rien voir ni savoir.
Hirsh ne comprend en effet pas le malaise des soignants. Il pense qu’il est dû à une trop grande pression sur la décision médicale - comme si le médecin devait diluer sa responsabilité - alors qu’il est au contraire dû une trop grande pression de tout ce qui est extra médical (adminsitratif, financier, juridique ..). La majorité des soignants demande à être responsabilisé.
La responsabilité est ce qui en effet change tout dans sa vie de médecin et que l’on franchit au cours du passage rituel du serment d’hippocrate. Mais c’est plus généralement ce qui fait le passage de l’enfant à l’adulte. Or, qu’avons nous vu pendant cette crise sinon une grande infantilisation de la population ?